Figure de proue
Objet
- Type d'objet : Objet
- Nom vernaculaire : nguzunguzu
- Géographie : Océanie – Mélanésie – Salomon, îles – Choiseul (province) – Choiseul (île)
- Date : milieu 19e-fin 19e siècle
- Matériaux et techniques : Bois, noix de parinarium, nacre, pigments
- Dimensions et poids : H.30 cm
- Précédente collection : Jean Paul Barbier-Mueller ; Collecte : Rodolphe Festetics de Tolna ; Précédente collection : Monique Barbier-Mueller ; Ancienne collection : Stephen Chauvet ; Ancienne collection : Ernest Ascher ; Ancienne collection : Joseph Müller ;
- Exposé : Non
- Numéro d'inventaire : 70.2024.1.2
Description
Sculpture monoxyle en bois dur teinté de noir et de résine (noix de parinarium), nacre , pigments. La figure en buste présente une tête conique. Oreilles, pourtour des yeux et de la bouche sont incrustés de plaques de nacre. La bouche aux dents marquées est rehaussée de pigment rouge. Les mains repliées sous le menton enserrent une petite tête humaine.
Usage
Aux îles Salomon occidentales, les chefs initiaient une chasse aux têtes pour inaugurer une pirogue de guerre ou une maison des hommes, pour commémorer un chef défunt ou lever l'interdit de confinement d'une veuve. Les têtes collectées comme trophées et les esclaves capturés puis sacrifiés lors de rituels visant à rééquilibrer l'ordre social, servaient aussi à accroître le mana –pouvoir surnaturel- des chefs. C'est par ces actes de violence codifiés que le prestige politique, économique et symbolique d'un chef était renforcé. Les premiers récits sur la chasse aux têtes remontent à l'expédition de Mendana, 1568, lorsque les Espagnols rencontrent un chef de la pointe occidentale de Santa Isabel revenant avec 110 guerriers postés sur 15 canots d'une attaque à 120 km de leur territoire. Les raids meurtriers s'intensifièrent encore davantage à la fin du 19e siècle, suite à l'introduction des armes en métal par les Européens.Les termes nguzunguzu (en langue roviana) et toto isu (en langue marovo) désignent les figures de proue fixées à la ligne de flottaison des pirogues de guerre. Ils font respectivement référence à la bouche et au nez proéminents de ces figures. Oreilles aux larges lobes et regard fixe et intense constituent leurs autres caractéristiques. Cette attention portée aux organes sensoriels en faisait des agents hautement efficaces lors des expéditions. En mer, une pirogue était toujours entourée d’esprits malveillants qui pouvaient compromettre sa progression et la sécurité de son équipage. La figure de proue, tous sens en éveil, assurait sa protection en prémunissant contre toute attaque. Les incrustations de nacre sont formées de deux triangles à bords dentelés accolés. Ces motifs anciens renvoient aux charmes de coquillage pagosia, placés sur les autels funéraires, dont les dentelures seraient des figurations simplifiées de têtes d'ancêtres puissants liés par une longue histoire généalogique. Par analogie, la présence de ces motifs sur l’objet lui confère le même pouvoir efficace que celui reconnu à ces êtres issus des morts. Les parures des figures de proue évoquent également celles des hommes. Les lobes des oreilles étaient distendus à l’aide de disques en feuilles, en bois ou en coquillage comme ici. Lors des cérémonies et des expéditions guerrières, les hommes dessinaient sur leur visage des courbes avec de la chaux de corail humidifiée, reproduites ici par les incrustations de nautile.L’intensité du regard, matérialisé par l’éclat du coquillage, est liée à la fonction protectrice des figures de proue. Ne clignant jamais des yeux, fixant l'horizon, l'esprit gardien de la pirogue interdit aux esprits malveillants, dont les déplacements rapides sont imperceptibles aux yeux des hommes, de s'approcher. Chaque figure de proue existait indépendamment des pirogues et constituait un bien de valeur indissociable de son commanditaire. Un chef désireux d’organiser un raid avec davantage de pirogues qu'il n'en possédait pouvait en obtenir de chefs alliés. Il fixait alors sur ces embarcations "neutres" les figures de proue qui lui appartenaient de manière à placer l’expédition sous la protection de ses esprits tutélaires.