Corsage féminin
Textile ou vêtement
- Classification : Textile ou vêtement
- Nom vernaculaire : Quechquemitl (Náhuatl)
- Géographie : Amérique – Amérique du Nord – Mexique – San Luis Potosí (état) – Aquismón (municipio) – Santa Barbara
- Culture : Amérique – Huastèque
- Date : 1930-1938
- Matériaux et techniques : Coton blanc, filé, tissé et brodé de fils de laine et de coton
- Dimensions et poids : 67,5 x 78,5 x 1,5 cm, 194 g
- Mission : Guy Stresser-Péan ; Précédente collection : Musée de l'Homme (Amérique) ;
- Exposé : Non
- Numéro d'inventaire : 71.1937.24.31
Description
-Matières. Coton blanc, ("algodon", "kwinim"), provenant des cultures indigènes. Laines et fils de diverses couleurs achetées au commerce européen. -Technique. Le coton a été filé au fuseau, puis tissé au métier horizontal suspendu, de façon à obtenir 2 pièces rectangulaires d'environ 70 X 40 cms (l'une des pièces s'étant trouvée un peu trop courte on y a rajouté une bande de 2 à 3 cms cousue avec du fil blanc). L'un des petits côtés de chacun de ces rectangles est alors cousu à une partie d'un des grands bords de l'autre. L'une de ces coutures est exécutée à jour avec du fil rose dessinant une ligne en zig-zag. L'autre couture est faite normalement avec du fil blanc, mais recouverte d'un dessin en zig-zag brodé au fil rose. L'étoffe blanche de ce vêtement est ornée de broderies exécutées au point de croix (à la mode indienne) ou au point lancé (à la mode indienne) avec des fils de laine ou de coton Les broderies en général sont appelées simplement "tucé[a]" ce qui signifie "dessin". -Forme. Ce vêtement ne peut être étalé à plat qu'une fois plié en double. Il présente alors la forme d'un carré d'environ 55 cms de côté, mais à l'un des angles duquel manque un petit carré d'étoffe d'environ 15 cms de côté. Ce petit carré manquant se trouve à la partie supérieure du vêtement : il représente l'ouverture par laquelle passe la tête de la femme. Le quesquemel ici décrit est de dimension moyenne, avec une ouverture moyennement large. De chaque côté de l'ouverture, la partie destinée à couvrir les épaules est appelée "punuklek" (épaule). La pointe pendante, à l'opposé de l'ouverture est appelée "cum[a]" (pointe). Les bords, entre la pointe et les épaules, sont appelés wal (bords). Enfin le centre, entre l'ouverture et la pointe, est appelé "cukul[a]" (estomac). -Décoration. La femme vendeuse de ce vêtement déclara simplement que sa décoration représentait des fleurs ("wit") et des oiseaux (" titin"). Chaque épaule est décorée d'une ligne de broderie appelée "punuklek[a]" (épaule) formée d'une file de petites étoiles à 6 branches disposées entre 2 lignes de broderies parallèles. Ces petites étoiles sont des felurs, d'un côté il y en a 10, de l'autre 11 (certaines sont faites au point lancé et ont alors une forme irrégulière). A environ 5 cms le long du bord inférieur, court une épaisse bande rouge brodée en laine et large d'environ 2,5 cms. Il semble en général que de telles bandes sont appelées tum [a], c'est-à-dire ver ("gusanillo"). Cette bande est brodée suivant un dessin intérieur régulier, mais l'épaisseur de la laine la rend uniforme. Le motif essentiel de la décoration brodée de ce quesquemel occupe la partie de la pointe qui est située au dessus et dans l'angle de la bande rouge. Sur chaque face, ce motif a une forme losangique : le grand axe du losange est traversé par un certain nombre de perpendiculaires chargées de petits triangles, terminées pour la plupart par de petites étoiles à 8 pointes. Sur une face, le losange est plus petit, il compte 7 lignes transversales principales et 7 petites étoiles, plus une ligne transversale secondaire à un bout, et une grande étoile rouge à pointes arrondies occupant le centre du motif. Sur l'autre face, le losange est plus grand, il compte 7 lignes transversales principales et 7 petites étoiles terminales, plus une sorte de ligne transversale foliacée à un bout, et 3 petites étoiles ro...
Usage
-Fabrication. Le quesquemel, comme tous les vêtements tissés, est fabriqué exclusivement par les femmes (sauf toutefois pour ce qui est de la culture du coton qui est un travail agricole, donc masculin). Jadis, chaque femme filait, tissait et brodait son propre quesquemel. Toutefois, on pouvait recourir à des spécialistes, surtout en matière de broderie (cukus[a]-'usum = femme couseuse ou brodeuse). Naguère, le quesquemel était porté par toutes les femmes Huastèques et fabriqué avec du coton indigène. Il y a déjà longtemps que les fils des broderies ne sont plus teints avec de la cochenille ou des teintures végétales. A la fin du 19è siècle, on commença à faire des quesquemels avec de la cotonnade importée. Actuellement les Huastèques ont abandonné la fabrication et le port du quesquemel dans l'Etat de Veracruz et dans plusieurs points de l'Etat de San Luis Potosi. Pratiquement, on ne fabrique plus de quesquemels filés et tissés à la main, et il est devenu difficile d'en rencontrer en dehors du municipio de San Antoine et de certaines parties du Municipio de Taulajas.-Usage. Le quesquemel est un vêtement exclusivement féminin. Il se porte comme un poncho: on passe la tête par l'ouverture, et l'étoffe recouvre les épaules, la poitrine et le dos. Les pointes doivent retomber en avant et en arrière, de façon que les bras restent relativement dégagés. Naguère, les femmes Huastèques avaient le torse nu sous le quesquemel, et ce simple vêtement flottant était considéré comme fort agréable à porter par temps chaud. Les mères allaitaient discrètement leurs enfants sous le quesquemel dont elles n'avaient qu'a soulever le pan. En ce temps là, le quesquemel, surtout quand il était bien brodé, était un vêtement de luxe qu'on ne mettait guère que pour aller aux fêtes et aux marchés. Pour vaquer aux travaux domestiques les femmes avaient le buste entièrement découvert. Toutefois elles utilisaient sans ménagements les quesquels usagés, notamment en les mettant en écharpe, et en passant seulement un bras par l'ouverture. Aux environs d'Aquismon, les femmes portent souvent le quesquemel comme un voile, un des bords étant posé sur le dessus de la tête et la plus grande partie du vêtement pendant dans le dos; il y a là une imitation du rebozo des métisses. En fin un quesquemel plié en 8, de façon à ne plus former qu'un petit carré sur le sommet de la tête peut être porté comme une coiffe (puelab). Les plus beaux quesquemels étaient des cadeaux de mariage: c'étaient des objets personnels avec lesquels on se faisait enterrer. Acutuellement, les femmes se sont mises à porter un corsage sous le quesquemel, et pour beaucoup d'entre elles, un corsage en étoffe à ramages est devenu plus précieux qu'un quesquemel bien brodé.-Aire d'usage. Le quesquemel est progressivement abandoné par les femmes Huastèques modernes qui le remplacent pqr un corsage de coupe européenne. Il n'est plus employé que dans les municipios suivantes: Aquismon (au sud de Palmira), Huehuetlan, San Antonio, Taulajas et Tampamolon. On voit donc que les Huastèques de l'Etat de Veracruz ne font plus usage du quesquemel ; pourtant ils en gardent encore le souvenir, surtout aux environs de Tantoynca. Le quesquemel ne se rencontre qu'au Mexique, où actuellement il est employé par les peuples suivants : Huichols, Otomis, Huastèques, Totonaques, Tepehuas, Nahuatl (ces derniers seulement dans le sud de la Huasteca et dans la région de Huanchinango). Ce vêtement est ignoré dans le sud du Mexique où les femmes gardent le torse nu, ou bien emploient une sorte de robe-sac appelée "huipil". La limite entre ces 2 vêtements est assez difficile à tracer. Redfield signale l'usage actuel du quesquemel près de Tepoztlan (Morelos). A l'époque précortésienne, les femmes de Mexico portaient normalement le "huipil", mais connaissaient le quesquemel qu'elles considéraient comme un vêtement antique de luxe, qui devait sans doute être importé du pays Huastèque en Totonaque. -Typologie. On peut distinguer avec Soustelle 2 types de quesquemels : 1) l'un petit avec une large ouverture, donc fait de pièces d'étoffe allongées ; 2) l'autre ample avec une petite ouverture, dons fait de larges pièces d'étoffe. Chez les Otomis, le type court se rencontre au voisinage des terres chaudes. Mais, parmi les Huastèques, on peut rencontrer dans une même localité des quesquemels de toutes les tailles. Les plus amples sont appréciés par temps froid, et étaient naguère considérés comme plus luxueux parce que le coton était cher et devait être laborieusement filé et tissé. Les femmes Huastèques reconnaissent les quesquemels de différentes provenances (du voisinage) à des détails d'ornementation. Ceux de la région d'Aquismon manquent souvent de toute décoration, ou bien ont souvent de grosses franges et de lourdes broderies assez grossièrement exécutées. Ceux des environs de Taulajas ont de fines broderies de fils rouges et oranges, formant des motifs assez variés, dont certains ne se rencontrent pas ailleurs. Ceux du municipio de San-Antonio manquent souvent de franges et ont des broderies de laine riches et épaisses, souvent très habiles, parmi lesquelles on remarque presque toujours le motif central du Soleil, représenté comme une grande étoile à 8 branches. Ce dernier motif se rencontre avec le même symbolisme sur presque tous les quesquemels des femmes. Nahuatl de la région voisine (Tampamolon, Tancanhuitz, Antla) et Schuller pense que les Huastèques ont dû l'emprunter aux Nahuatl. A Taulajas et Aquismon, le Soleil est représenté en broderie, de façon assez différente: l'étoile à 8 branches est très fréquent sur les tissus des Huichols, où il représente, selon Lumholtz, une fleur appelée "toto". Malgré quelques différences locales, le style des broderies Huastèques est assez homogène, et certains motifs se retrouvent partout à peu près identiques (tel est le cas notamment, de la plupart des bouquets de fleurs). -Idéologie. Il semble bien que le quesquemel brodé des Huastèques symbolise la voûte céleste. Toutefois, beaucoup de femmes Huastèques ignorent actuellement ce symbolisme, et d'autres feignent de l'ignorer. En général, les broderies représentent au centre le soleil, et de chaque côté des bouquets de fleurs représentant les étoiles du Nord et du Sud. Dans l'exemplaire ici décrit, la décoration est différente. Elle est formée essentiellement de fleurs qui représentent à peu près sûrement les étoiles, désignées métaphoriquement "fleurs du ciel" (witzl an k'ailal[a]). Le motif où des "fleurs" sont disposées en losange, rappelle la forme d'un objet rituel en palme tressée qui est censé représenter les Pléiades (voir objet n°38.164.199). Sur une des faces du quesquemel, au centre du motif en losange est représentée une grande rosette rouge divisée en 8 quartiers, chacun chargé d'une petite rosette rose, jaune ou verte: il est probable que cette rosette représente le soleil, car c'est la forme qu'on lui donne dans les broderies d'Aquismon et de Taulajas. Les autres "fleurs" de ce motif en losange sont au nombre de 7, ce qui est le nombre des étoiles des Pléiades, selon les Huastèques. L'ensemble du motif représente donc probablement le Soleil au milieu de la constellation des Pléiades. Or précisément les Huastèques attribuaient naguère une grande importance au jour où le Soleil semblait se lever dans les Pléiades (actuellement en Juin). Mais sur l'autre face du quesquemel, le motif losangique compte 12 fleurs et n'a pas la grande rosette du centre. Peut-être y a-t-il là une représentation des Pléiades. Cela pourrait être aussi une représentation du ciel (dont 12 est le nombre symbolique), avec pour axe le chemin du soleil. Peut-être ces 2 explications ne s'excluent- elles pas l'une l'autre, car les Huastèques considèrent les Pléiades comme une réduction, un abrégé de l'ensemble du ciel. Les fleurs brodées en ligne sur les épaules, ainsi que les bouquets de fleurs brodés de chaque côté du motif losangique central représentent probablement les étoiles du Nord et les étoiles du Sud, de part et d'autre du "chemin du Soleil". Quant aux oiseaux (titin), d'une façon générale, ils sont considérés par les Huastèques comme des âmes (titinlab[a]). C'est le cas, tout particulièrement, du colibri et des oiseaux chanteurs, qui représentent les âmes privilégiées appelées par le Soleil dans le paradis céleste de l'Orient, âmes qui sont plus ou moins assimilées aux étoiles ou à Vénus. On dit que ces âmes vivent du nectar des étoiles, fleurs du ciel, comme les oiseaux mouches vivent du suc des fleurs de cette terre. Pour pouvoir s'expliquer le symbolisme du quesquemel, il faut se souvenir que les Huastèques conçoivent souvent le monde comme une femme dont la chair est la terre, dont le sang est l'eau, dont les os sont les roches, dont la vie est l'atmosphère et dont l'âme est au zénith. Le vêtement féminin matérialise cette conception: la jupe représente la mer et les nuages, le quesquemel représente le ciel et ses astres, et enfin, au dessus du quesquemel sort la tête, au sommet de laquelle se trouve la localisation de l'âme.