Le musée du quai Branly - Jacques Chirac est engagé dans un projet ambitieux : avec ses partenaires scientifiques, il réexamine l’histoire de cette mission marquante qui s'est déroulée en Afrique pendant la période coloniale. Les résultats seront partagés avec le public notamment dans le cadre d'une exposition en 2025 au musée.
Mission Dakar Djibouti [1931-1933]
contre-enquêtes
Contenu
Le projet
un projet collaboratif
Ce projet ambitieux, intitulé « Dakar-Djibouti : contre-enquêtes », vise à croiser les regards sur l’histoire de la mission Dakar-Djibouti qui a marqué l’histoire de l’anthropologie française. Il va permettre de porter un regard nouveau sur les collections du musée. Il associe de nombreux partenaires :
- L'IMAf (CNRS, EHESS, INHA), les universités Lyon 2 (LADEC), Paris Nanterre (LESC - CNRS) les universités du d'Abomey Calavi au Bénin (INMAAC) et de Gondar (Ethiopie)
- le musée des civilisations noires de Dakar, le musée national du Mali, du Tchad, du Cameroun et de Djibouti, le Muséum national d’Histoire naturelle, et la BnF
Il rassemble des chercheurs et des conservateurs, ainsi que des détenteurs de savoirs dans les localités d’origine et en France par le biais d’associations et de fédérations. Cette mission scientifique, l’une des plus marquantes de la collecte en contexte colonial, a duré 21 mois de 1931 à 1933 et a rapporté à Paris plus de 3 000 objets, 300 manuscrits et amulettes, des milliers de spécimens naturalistes, des milliers de photographies, d’enregistrements sonores et près de 10 000 fiches de terrain manuscrites. Ce patrimoine et ces archives sont complétés par le témoignage du secrétaire de la mission, Michel Leiris, dans L’Afrique fantôme (1934).
Ces contre-enquêtes réexaminent l’histoire et les enseignements de cette mission et notamment les circonstances de collectes d'objets, d'informations, de prises de vues, d'enregistrements sonores. Elles impliquent des recherches à Paris et dans certaines localités d'origine avec les partenaires du projet.
Par ordre alphabétique :
- Daniel Abidjo (INP), élève conservateur
- Sisay Sahile Beyene (Université de Gondar, Ethiopie), assistant professeur, historien et sociologue
- Julien Bondaz (Lyon 2), maître de conférences, anthropologue
- Claire Bosc-Tiessé (Imaf [EHESS, INHA]), directrice d’études, historienne et historienne de l’art
- Anne-Flore Carpin (LESC, Université de Nanterre), étudiante, Master 2, anthropologie sociale
- Jean-Paul Colleyn (IMAf, EHESS), professeur émérite, anthropologue
- Philippe Adoum Gariam, directeur du musée national du Tchad, ethnoarchéologue
- Emmanuelle Cadet, Issa Dia, Marie Fane et Dr Marie Gautheron, association Alter Natives
- Zéphirin Daavo (Université d’Abomey-Calavi), enseignant chercheur, anthropologue de l’art
- Frédéric Dubois (LESC, CNRS/Nanterre), directeur de la bibliothèque Eric-de-Dampierre
- Monica Heintz (LESC/CNRS-Université Nanterre), professeur, anthropologue
- Hugues Heumen Tchana, directeur du musée national du Cameroun et maître de conférence (Université de Maroua), sciences du patrimoine
- Hasna Hassan Houmed Gaba, chargée de la recherche et de projet du musée national de Djibouti, muséologue
- Didier Houénoudé (Université d’Abomey-Calavi), professeur, historien de l’art
- Eric Jolly (IMAf [CNRS]) Directeur de recherche, anthropologue
- Mahamadou Kanté, directeur de la fédération des forgerons de Montreuil, forgeron
- Aimé Kantoussan, directeur de la recherche au musée des Civilisations noires et chargé d’études, historien des techniques
- Daouda Keïta, directeur général du musée national du Mali et professeur au Département Histoire et archéologie (USSGB, Bamako), archéologue
- Marianne Lemaire (IMAf, CNRS), chargée de recherche, anthropologue
- Salia Malé (Institut Kôrè des arts et métiers, Ségou) directeur de recherches, anthropologue
- Arthur Vido (université d’Abomey Calavi), enseignant chercheur, historien
- Anaïs Wion (IMAf [CNRS]), chargée de recherches, historienne
- Et l’équipe du musée du quai Branly – Jacques Chirac
Les acteurs du projet
Une coopération scientifique & patrimoniale
Les bourses « Parcours des collections » du Ministère de la Culture et l’appui du Ministère des affaires étrangères, via les ambassades de France, permet au musée d’accueillir des professionnels du patrimoine pour une durée d’un à trois mois (en savoir plus sur les Programmes d’accueil, de formation et d’échange pour les professionnels étrangers de la culture).
La conférence de Daouda Keita, directeur général du musée national du Mali, le 3 juillet 2022 au salon de lecture J. Kerchache (à réécouter ci-dessous), s’inscrit dans le cadre d’une coopération scientifique et patrimoniale renforcée avec les pays d’origine des collections africaines : les recherches qu’il a effectuées en collaboration avec les équipes de conservation du musée s’inscrivent notamment dans le cadre du projet Dakar - Djibouti.
De nombreux professionnels sont invités sur ce projet :
- Aimé Kantoussan, directeur de la recherche du musée des Civilisations noires de Dakar en septembre 2023.
- Hugues Heumen, directeur du musée national du Cameroun en juin 2023.
- Hasna Hassan Houmed-Gaba, chargée de projet du musée national de Djibouti. Dans le cadre de la création du nouveau musée de Djibouti, Hasna Hassan, en octobre 2022, s’est intéressée à tous les métiers du musée, en particulier la restauration et la conservation préventive. Une partie de son temps a été consacrée à l’étude du passage de la mission Dakar Djibouti à Djibouti, à l’histoire de la collection d’objets, à la constitution d’informations et des prises de vue.
- Daouda Keïta, directeur général du musée du Mali a travaillé, du 15 mai au 15 juillet 2022, sur le fonds objets, photographies et archives de la mission Dakar-Djibouti.
- Jean-Paul Koudougou, conservateur au Burkina-Faso, a travaillé en novembre 2021 sur les objets burkinabés, sous l’angle des provenances historiques, notamment sur ceux de de la mission Dakar-Djibouti. Son étude a aussi permis de corriger la provenance géographique de certaines pièces.
Quelques objets emblématiques
le boli collecté lors de la mission
Parmi les objets célèbres, rapportés du Mali par la mission, figure un boli, objet sacré lié à la société secrète du Kono, pris avec d’autres dans le sanctuaire réservé aux seuls initiés masculins de Dyabougou.
L'épisode du 7 septembre 1931 fait écho à celui de la veille, à Kéméni, où d’autres objets du Kono furent saisis sans le consentement de leurs détenteurs.
Retracer l’histoire controversée de cet objet fait partie du travail mené dans le cadre du projet Dakar-Djibouti, et, plus largement, dans celui des recherches de provenance initié depuis 2019 par le musée. Toutefois, toutes les histoires ne sont ni aussi bien connues, ni aussi violentes que celle de cet objet ; c’est tout l’enjeu d’un travail de recherche de long terme.
- Le boli dans L'Afrique fantôme : extrait du 7 septembre 1931
Un an après le retour de la « mission ethnographique et linguistique Dakar-Djibouti », le secrétaire de la mission, Michel Leiris, publie son journal intitulé L’Afrique fantôme en 1934. Aux dates des 5 au 7 septembre 1931, il révèle que plusieurs objets, dont le boli, ont été pris par la mission Dakar-Djibouti sans le consentement des institutions locales.
Extrait de L’Afrique fantôme de Michel Leiris :
« 7 septembre. Avant de quitter Dyabougou, visite du village et enlèvement du deuxième Kono, que Griaule a repéré en s’introduisant subrepticement dans la case réservée. Cette fois, c’est Lutten et moi qui nous chargeons de l’opération. Mon cœur bat très fort car, depuis le scandale d’hier, je perçois avec plus d’acuité l’énormité de ce que nous commettons. De son couteau de chasse, Lutten détache le masque du costume garni de plumes auquel il est relié, me le passe, pour que je l’enveloppe dans la toile que nous avons apportée et me donne aussi, sur ma demande – car il s’agit d’une des formes bizarres qui hier nous avait si fort intrigués – une sorte de cochon de lait, toujours en nougat brun (c’est-à-dire sang coagulé) qui pèse au moins 15 kilos et que j’emballe avec le masque. (…) Lorsque nous partons, le chef veut rendre à Lutten les 20 francs que nous lui avons donnés. Lutten les lui laisse, naturellement. Mais ça n’en est pas moins moche… »
retracer l'histoire
Les boliw sont des objets sacrés confectionnés, manipulés et conservés à l’abri des regards par les initiés de la puissante société masculine du Kono. Dans les milieux Bamana (Mali) non musulmans, le contrôle des équilibres sociaux passe par les sociétés initiatiques dont celle du Kono. Dans ce cadre secret, strictement masculin, des objets puissants canalisent et opèrent contre les énergies nuisibles à la communauté et aux initiés. Les boliw sont utilisés comme des autels portatifs nourris régulièrement d’un amalgame à base de sang animal afin - notamment - de favoriser la fertilité, résoudre des conflits ou encore intimider les personnes malveillantes.
La force et le pouvoir de ces objets cultuels, donc leur efficacité, sont liés aux éléments versés régulièrement dont le sang chargé de nyama, énergie dangereuse à manipuler. Un boli peut revêtir plusieurs formes, zoomorphe, anthropomorphe ou « informe » en fonction du type de maux à résoudre en faveur de la communauté toute entière.
Contexte d’usage
En savoir plus
Ressources liées
sur le Boli
- Bande annonce du Vol du Boli au théâtre du Chatelet : www.youtube.com/watch
- BRETT-SMITH, Sarah The making of Bamana sculpture : creativity and gender. Cambridge University Press, New York, 1994
- COLLEYN, Jean-Paul, Bamana : un art et un savoir-vivre au Mali. New York : Museum for African art ; Zürich : Museum Rietberg ; Gand : Snoeck-Ducaju & Zoon, 2001
- COLLEYN, Jean-Paul. Bamana, Cinq Continents, Collection : Visions d'Afrique, Milan, 2009
Sur la mission Dakar-Djibouti :
- LEIRIS, Michel, L’Afrique fantôme in Miroir de l'Afrique. Michel Leiris. édition établie, présentée et annotée par Jean Jamin. Paris : Gallimard, 1996
- A la naissance de l’ethnologie française. Les missions ethnographiques en Afrique subsaharienne (1928-1939) : naissanceethnologie.fr/exhibits/show/mission-dakar-djibouti