Il y a presque 100 ans, des séances d'audition de musiques enregistrées étaient organisées par le Musée d'ethnographie du Trocadéro. Retour sur ce petit moment d'histoire, ancêtre lointain des Siestes électroniques et du festival Hip Hop Collections, avec l'ethnomusicologue Renaud Brizard.
D'André Schaeffner au Festival Hip Hop Collections
Des disques qui craquent dans les salles d'exposition
Contenu
De la création d'un fonds d'archives sonores...
En 1932, à son retour de la mission Dakar-Djibouti, André Schaeffner, le directeur du département d’ethnologie musicale du Musée d’ethnographie du Trocadéro, crée un fonds d’archives sonores. Il le constitue à partir des enregistrements effectués lors de missions ethnographiques comme celle dont il revient et grâce aux liens qu’il s’efforce de nouer avec d’autres institutions muséales et avec les différentes compagnies qui commercialisent des disques de musiques dites « exotiques » ou « traditionnelles ».
En cette même année, le Musée d’ethnographie du Trocadéro innove également sur le plan muséographique. Jusqu’ici, les expositions avaient une visée généraliste et pouvaient porter par exemple sur l’ensemble des arts africains ou océaniens. Le musée rompt avec cette habitude en adoptant une perspective monographique et en inaugurant une série d’expositions temporaires à thème unique et sur des aires culturelles réduites.
... aux séances d'écoute en plein musée
Pour illustrer ces expositions, André Schaeffner programme des séances d’audition de musiques enregistrées au milieu des artefacts présentés. La richesse de la phonothèque qu’il a créée lui donne la possibilité de proposer une sélection sonore adaptée et diversifiée pour chacune des expositions. Ces séances, qui ont lieu le samedi de 16h à 17h et qui sont gratuites pour tous les visiteurs ayant acquitté le droit d’entrée au musée, permettent d’installer une ambiance diffuse tout en offrant aux visiteurs la possibilité d’une écoute attentive. Un programme écrit est disponible avec le nom et un court descriptif de chacune des pistes.
La première séance d’écoute dont on a trace a été organisée le 16 juillet 1932 à l’occasion de l’exposition sur les bronzes et les ivoires du Bénin avec au menu des musiques du Dahomey et du Nigeria. Au programme de cette séance, figurent quelques-uns des enregistrements réalisés par l’Institut de phonétique au cours de l’Exposition coloniale de 1931 à Paris. Par la suite, au cours de l’automne 1932, les visiteurs ont pu découvrir les musiques d’Égypte, d’Indochine, d’Inde, d’Afrique occidentale et de Guyane hollandaise.
Ainsi à quelques centaines de mètres à peine du musée du quai Branly, de l’autre côté de la Seine, dans les murs du Musée d’ethnographie du Trocadéro, était organisé ce que l’on pourrait considérer comme un "ancêtre" lointain des Siestes électroniques et, plus tard, du festival Hip Hop Collections au musée du quai Branly. L’histoire ne dit pas si les visiteurs s’accordaient le loisir de s’allonger pour mieux profiter de cet instant…
Par la suite, l'effort de diffusion et de vulgarisation commencé par André Schaeffner a été prolongé en France par de nombreuses actions de l'équipe du laboratoire d'ethnomusicologie du Musée de l'Homme, parmi celles-ci la création dans les années 1950 des éditions de disques dirigées par Gilbert Rouget et appelées par la suite "Collection CNRS/Musée de l'Homme" ou encore la mise en place du Salon de musique par Geneviève Dournon en 1985."
Article rédigé par Renaud Brizard à partir de l’ouvrage Histoire de l’ethnomusicologie en France (1926-1961) de Brice Gérard (éditions L’Harmattan) et avec le concours de Thomas Henry du blog Ceints de bakélite