Après le succès de la première saison, BLEU INDIGO, jazz au musée se poursuit ce trimestre sous le signe des hybridations entre jazz et musiques du monde, avec des rencontres inédites entre musiciens, la présentation d’artistes de jazz qui ont depuis longtemps travaillé sur les musiques extra-européennes, et les résonances africaines et asiatiques d’une New World Music.
à propos du concert
Avant les « écrivains voyageurs », il y eut sans doute les musiciens voyageurs, lesquels avaient en outre cet avantage de ne jamais faire seuls le récit de leurs pérégrinations, mais de les raconter le plus souvent à plusieurs voix, de concert avec leurs nouvelles accointances, rencontrées sur place. Le violoncelliste Didier Petit est sans aucun doute l’un de leurs descendants, lui qui, bien au-delà d’une carrière et d’un destin sur une scène nationale quelconque, s’est fait une philosophie, un gai savoir, de la rencontre avec l’autre réellement autre, irréductible, lui qui travaille notamment avec Xu Feng-Xia, éminente joueuse chinoise de guzheng et ancienne partenaire de Peter Kowald, à redéfinir les us et les coutumes de l’improvisation musicale à partir des traditions « occidentales » et « orientales ». Il y travaille en étant l’un des rares improvisateurs européens à faire le déplacement jusqu’en Extrême-Orient, année après année, et parfois avec le clarinettiste passe-muraille Sylvain Kassap.
C’est ainsi que le East-West Quartet fut d’abord créé en mai 2009, à Hong-Kong, et se produisit dans la foulée à Guangzhou, Beijing et Qingtao, avec pour figure tutélaire Théodorico Pedrini, un moine du 18e siècle et un autre musicien voyageur. Compositeur mais aussi luthier auprès de l’Empereur de Chine, Pedrini sut, par sa connaissance des deux univers culturels, ouvrir la porte des mondes. Fil d’Ariane que reprend aujourd’hui Didier Petit sur son métier à tisser : « Le concept du East-West est né de plusieurs désirs. Le premier est de créer un lien durable entre ces deux pratiques que représentent la tradition musicale chinoise et l’improvisation européenne. La pratique des instruments acoustiques dans ces deux traditions n’est pas si éloignée d’un point de vue technique – et le jeu sur les timbres en est l’exemple le plus probant. Par ailleurs, l’utilisation de la modalité et d’éléments de « théâtralité », ainsi qu’une organisation musicale horizontale,
faite de strates et d’humeurs, permettent une confrontation fructueuse entre ces deux cultures. »
Or le koto, version japonaise du guzheng, a fait l’objet d’une expertise comparable de la part de Miya Masaoka, « Sansei » ou nippo-américaine de la troisième génération, souvent associée au saxophoniste Larry Ochs dans leur trio avec les violoncellistes, précisément, Joan Jeanrenaud puis Peggy Lee, et dans Maybe Monday, avec le guitariste Fred Frith. Xu Feng-Xia et Miya Masaoka se connaissant de réputation, et s’estimant, invitation leur a été lancée à se réunir – s’aventurer – sur scène avec leurs partenaires européens et américains. Et que leurs instruments à cordes pincées, constamment réglées et déréglées, au diapason du violoncelle attendri ou ensauvagé de Didier Petit, lancent à leur tour les généreuses sommations de l’étourdissement aux instruments à vent et à souffle libérés d’Ochs et de Kassap. Tout est à attendre de ce désormais East-West Collective et des stratégies imaginatives qu’aura su échafauder Petit, non seulement du guzheng et du koto sous les doigts et les ongles des deux sœurs filandières, mais de la chancellerie de l’air de la clarinette, et de la chancellerie de l’eau de la clarinette basse de Kassap,de la pierre à fusil du sopranino, et de la torche de résine du ténor d’Ochs, grands modulateurs de chants d’outre-voix. Car Larry Ochs est un saxophoniste foudroyant et foudroyé, à la sonorité tantôt braisée (c’est alors qu’il détonne, avec de maigres torpilles de notes rougeoyantes), tantôt cendrée (et alors il implore, il sombre dans le dénuement et la volupté). Orgiaques ou carbonisés, ses saxophones charrient les mêmes richissimes impuretés que les clarinettes labiles de Sylvain Kassap, bien faites pour allumer la mèche des formes, et tous leurs acides éblouissements. Par leur façonnage ahurissant de la polyphonie, art de parler à plusieurs voix, ces musiciens voyageurs ou caravaniers nous rappellent qu’il ne saurait y avoir de « musique du monde », mais des musiques du passage entre les mondes.
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Distribution
- Xu Feng-Xia, guzheng
- Sylvain Kassap, clarinette & clarinette basse
- Miya Masaoka, koto
- Larry Ochs, saxophones ténor & sopranino
- Didier Petit, violoncelle
- Durée : 01:30
- Lieu : Théâtre Claude Lévi-Strauss
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Dates :
Le samedi 21 avril 2012 à partir de 18:00 -
Accessibilité :
- Handicap auditif bim (T)
- Handicap moteur
- Public : Handicap auditif (Boucle à induction magnétique), Handicap moteur, Tous publics
- Categorie : Concerts
- Dans le cadre de : Jazz Bleu Indigo 2011-2012