Depuis 2001, la traite et l'esclavage sont reconnus par la loi en France comme crime contre l'humanité. Du XVIe au XIXe siècle, la France met en place un vaste système esclavagiste, la traite transatlantique et l’esclavage colonial. À la Révolution en 1789, elle adopte la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui proclame que les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Pourtant l’esclavage perdure dans les colonies. Les mouvements de résistance prennent alors une plus vaste ampleur. Dans la partie française de l’île de Saint-Domingue, les esclaves se soulèvent pour réclamer liberté et égalité. Ils obtiennent l’abolition de l’esclavage le 29 août 1793. Le 4 février 1794, la Convention nationale proclame l’abolition dans toutes les colonies. Après le rétablissement de l’esclavage par Napoléon Bonaparte en 1802, le système esclavagiste se maintient malgré les contestations. La France abolit définitivement l’esclavage en 1848, en indemnisant les anciens propriétaires des esclaves, mais pas les affranchis. En 1948, les commémorations nationales de l’abolition de l’esclavage se sont cristallisées autour de la figure tutélaire du récit républicain, Victor Schœlcher, auteur du décret de l’abolition de 1848. Depuis, plusieurs monuments publics le représentant ont pu être remis en cause en tant que symboles de la prépondérance de cette figure dans la construction mémorielle en France.
- D’après un dessin de Louis-Simon Boizot, gravé par Louis Darcis
- Sans titre
- Vers 1794
- Eau-forte sur papier
- Inv. 75.8898 et 75.8899
- Don Antoine Gianelli au Musée de la France d’outre-mer, 1935
Ces deux représentations se situent dans le sillage de l’affirmation de l’égalité et de la liberté par la Révolution française et du vote, en 1794, de l’abolition de l’esclavage dans toutes les colonies françaises. D’autres versions de ce portrait de femme noire et d’homme noir désormais libres sont connues. Elles comportent les inscriptions, dans une syntaxe hasardeuse, « Moi libre aussi » et « Moi égal à toi ». Ainsi représentés, ils demeurent dans une certaine mesure dans une position servile et ne sont pas décrits comme des participants à parts égales aux combats pour la liberté et l’égalité.
- D’après un dessin de Marcus Rainsford, gravé par John Barlow
- Toussaint Louverture
- 1805
- Gravure sur acier
- Inv. 75.14913
Né esclave dans la partie de l’île de Saint-Domingue sous domination française, Toussaint Louverture (1743-1803) est affranchi en 1776. Il rejoint en 1791 l’insurrection des esclaves, puis combat avec les troupes espagnoles contre les Français. L'abolition de l'esclavage en 1794 le fait se rallier à la France qui finit par le reconnaître comme général en chef. Il est arrêté et incarcéré sur ordre de Napoléon Bonaparte en 1802. Toussaint Louverture meurt au Fort de Joux (Jura) en 1803. La lutte des esclaves aboutit un an plus tard à l'indépendance d’Haïti, « première République noire libre », selon les mots de Jean-Jacques Dessalines qui proclame l’indépendance. Ce portrait de Toussaint Louverture a été publié en 1805 dans un ouvrage sur la révolution haïtienne. Son auteur, l’officier de marine britannique Marcus Rainsford, a rencontré Toussaint Louverture.
- D’après un dessin de Nanine Valain, gravé par François Bonneville
- E.V. Mentor
- vers 1800
- Gravure au pointillé sur papier
- Inv. 75.13794
Étienne Victor Mentor (1771-1806) est né à Saint-Pierre en Martinique. Il est élu en avril 1797 député de Saint-Domingue au Conseil des Cinq-Cents. En mars 1799, il dénonce le sort des militaires noirs et métis qui, dans une mesure discriminatoire contraire aux principes républicains, ont été rassemblés dans une unité militaire séparée des soldats blancs.
- Anonyme
- Portrait à la silhouette d’Alice Genet
- Vers 1830
- Papier découpé
- Inv. 70.2020.24.1
- Anonyme
- Portrait à la silhouette d’Amélie Flandin
- Vers 1830
- Papier découpé
- Inv. 70.2020.24.2
Ces portraits en papier découpé représentent des veuves de planteurs négriers qui étaient installés à Saint-Domingue. L'indépendance d’Haïti n’a été reconnue par la France qu’en 1825. Une indemnité de 150 millions de francs a été imputée à Haïti afin de dédommager les colons expropriés. Entre 1826 et 1833, une commission royale a examiné plus de 27 000 plaintes de propriétaires de Saint-Domingue et de leurs bénéficiaires.
- D’après Edme Penauille, imprimé par Frick Frères
- Victor Schœlcher
- 1869-1870
- Lithographie sur papier
- Inv. 75.3402
- Don Xavier et André Schœlcher au Musée permanent des colonies, 1932
Journaliste et homme politique français, Victor Schœlcher (1804-1893) a consacré sa vie à la lutte contre l’esclavage. Ce portrait a fait partie des œuvres et documents présentés entre 1931 et 1960 dans le musée colonial installé au Palais de la Porte dorée. L’auteur du décret de l’abolition de l’esclavage en 1848 est alors décrit comme le seul et unique protagoniste des combats pour l’affranchissement, au détriment de nombreuses femmes et de nombreux hommes réduits en esclavage qui ont lutté activement pour leur libération. La mémoire de l’abolition de 1848 s’est ainsi construite dans l’histoire française autour de la figure de l’abolitionniste. Le nom de Victor Schœlcher a été donné à des édifices, des places, une commune, et des statues lui ont été dédiées dans l’espace public.
- Photographe anonyme
- Inauguration de la statue de Victor Schœlcher à Fort-de-France
- 1904
- Tirage sur papier baryté
- PP0132505
Un monument en hommage à Victor Schœlcher a été commandé après sa mort au sculpteur français Anatole Marquet de Vasselot. Il en a conçu une première version pour la ville de Saint-Pierre en Martinique. La sculpture a disparu lors de l’éruption de la Montagne Pelée en 1902. Une seconde version a été installée et inaugurée à Fort-de-France en 1904, sur la place du Palais de Justice. L’œuvre représente Victor Schœlcher dans un geste paternaliste, penché vers une jeune enfant esclave. À la fin du XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle, la figure de Victor Schœlcher est convoquée dans les colonies françaises aux Antilles pour promouvoir le projet assimilationniste de la France. Lors de la commémoration de l’abolition de l’esclavage en Martinique le 22 mai 2020, la sculpture qui apparaît sur cette photographie a été renversée par des militants, puis déboulonnée.
- Braun et Cie
- Vitrines consacrées à Victor Schœlcher au Musée permanent des colonies
- 1931-1933
- Tirage sur papier baryté
- PP0131211
Inauguré lors de l’Exposition coloniale internationale de 1931, le Musée permanent des colonies était installé au Palais de la porte dorée. Il comprenait une galerie consacrée à l’histoire de l’impérialisme français. L’histoire de l’esclavage n’était abordée pratiquement que sous l’angle des abolitions. Le discours du musée colonial gommait l’instauration de la traite transatlantique par les Européens et insistait sur l’apport des Lumières quant à la reconnaissance d’une humanité universelle. Portraits commémoratifs, caricatures et documents d’archives étaient rassemblés pour présenter Victor Schœlcher comme la figure centrale de la seconde abolition de 1848.
- Matuco
- Porto Rico
- 1e moitié du 19e siècle
- Ecorce
- Inv. 71.1881.45.27
- Don Victor Schœlcher au Musée d’ethnographie du Trocadéro, 1881
Au retour d’un voyage au Mexique pour affaires familiales en 1828, Victor Schœlcher fait escale à la Nouvelle-Orléans et à Cuba où il découvre l’inhumanité de l’esclavage. À son retour en France, il devient un fervent militant en faveur de l’abolition, qu’il met en application lors de son entrée au gouvernement français en 1848. De ses voyages dans les colonies européennes des Caraïbes en 1840, en Égypte et en Turquie en 1844, ainsi qu’en Gambie, Mauritanie et Sénégal en 1847, Victor Schœlcher rapporte des témoignages matériels des pratiques de la traite transatlantique ainsi que des traites orientales pour démontrer la réalité des pratiques esclavagistes. Ce sac a été collecté en 1841 dans la colonie espagnole de Porto Rico, avant l’abolition de l’esclavage en 1873. Il comporte une inscription de la main de Victor Schœlcher : « Matuco, pris dans une case à nègre près de Naguabo, Puerto Rico ».
- Programme des manifestations prévues pour le centenaire de la Révolution de 1848
- 13 février 1948
- Archives DA000615/5967101/1948-07/1953
En 1948, la France commémore le centenaire de la Révolution de février 1848, qui a mis fin à la monarchie et permis l’avènement de la Seconde République. La Révolution de février 1848 a précipité la proclamation du décret de l’abolition de l’esclavage, dont le centenaire est aussi commémoré par des publications, des conférences, des célébrations et des expositions, comme celle organisée au musée de la France d’outre-mer cette année-là.
- Victor Schœlcher, Esclavage et colonisation
- Avant-propos de Charles-André Julien, introduction d’Aimé Césaire, textes choisis et annotés par Émile Tersen
- Paris, Presses universitaires de France, 1948
- MH-L-A-000161
Ce recueil de textes de Victor Schœlcher publié en 1948 est accompagné d’un avant-propos de l’historien Charles-André Julien, président de la Commission de célébration du centenaire de l’abolition de l’esclavage. Maire de Fort-de-France, Aimé Césaire rend hommage à Victor Schœlcher le 21 juillet 1945, lors des célébrations en mémoire de sa naissance. Le discours qu’il prononce est ensuite repris dans la dernière livraison de la revue Tropiques, accompagné d'une sélection des écrits de Victor Schœlcher. En 1948, Aimé Césaire déclare : « évoquer Schœlcher, ce n’est pas invoquer un vain fantôme. C’est rappeler à sa vraie fonction un homme dont chaque mot est encore une balle explosive. Que son œuvre soit incomplète, il n’est que trop évident. Mais ce serait puérilité et ingratitude que de la sous-estimer ».
- Commémoration du centenaire de l'abolition de l'esclavage. Discours prononcés à la Sorbonne le 27 avril 1948 par Gaston Monnerville, Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire. Introduction d’Edouard Depreux.
- Paris, Presses universitaires de France, 1948
- N-Z-113367
Le 27 avril 1948, le Guyanais Gaston Monnerville, président du Conseil de la République (l’équivalent du Sénat sous la IVe République), Léopold Sédar Senghor, député socialiste du Sénégal (sous domination française à cette date) et Aimé Césaire, député communiste de la Martinique (département français depuis 1946) prononcent chacun à l’université de la Sorbonne un discours lors des commémorations du centenaire de l’abolition de l’esclavage. Ils ont été publiés dans cet ouvrage avec une préface de l’ancien ministre de l’Éducation nationale, Edouard Depreux.
- Manfred, Dialogue entre Victor Schœlcher et Félix Éboué
- Supplément du Dimanche sportif et culturel, Basse-Terre, 1948
- MH-Z-006117
En 1948, lors du centenaire de l’abolition de l’esclavage, l’Union française vote le transfert des cendres de Victor Schœlcher (1804-1893) et de Félix Éboué (1884-1944) au Panthéon, pour lequel militaient des hommes politiques comme Gaston Monnerville. La cérémonie a lieu le 20 mai 1949. Ce texte propose un dialogue fictif entre les deux hommes qui ne sont jamais rencontrés. Né en 1884 en Guyane, Félix Éboué, dont les grands-parents avaient subi l’esclavage, a fait carrière dans l’administration coloniale. Nommé gouverneur du Tchad en 1938, il se rallie à la France libre dès 1940 et devient, selon les mots de Gaston Monnerville, « le premier résistant de la France d’outre-mer ».
- Photographe anonyme
- Gouverneur Général Félix Eboué (1884-1944)
- Carte postale. Procédé photomécanique sur papier
- 70.2015.15.684