Inévitables ! Figures super-héroïques africaines-américaines, 1970-2023

Du 18 juillet au 28 octobre 2024

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Inévitables ! Figures super-héroïques africaines-américaines, 1970 - 2023

Du 18 juillet au 28 octobre 2024

Le succès du comics et du format particulier que le terme décrit, une brochure de 32 pages s’émancipant du journal et constituant ainsi un produit de consommation culturelle bon marché accessible à un jeune lectorat, est indissociable de Superman, dont la création en 1938 par Jerry Siegel (1914-1996) et Joe Shuster (1914-1992) marque le début de l’âge d’or du comics aux États-Unis.

Le style de dessin qui idéalise le corps du super-héros, dont Superman représente l’archétype, contraste alors avec l’utilisation de représentations caricaturales à effet comique pour signifier la présence africaine-américaine dans les comics de super-héros, codifiant et renforçant l’idée d’une subordination du second vis-à-vis du premier. Ces caricatures rendent alors difficile l’identification d’un lectorat africain-américain assidu mais marginalisé, qui comprend très bien que le comics, s’il s’adresse aux enfants, est également un espace de discussion de problèmes sociaux réels.

Cette inégalité dans les représentations, qui reflète la place attribuée par une société ségrégationniste aux citoyens africains-américains avant les victoires pour les Droits Civiques des années 50 et 60, va avoir pour effet de retarder la création de figures super-héroïques africaines-américaines et décaler leur entrée dans l’âge d’or, qui s’effectuera en 1966 à la création de Black Panther par Stan Lee (1922-2018) et Jack Kirby (1917-1994). S’ensuivront vingt ans de représentations toujours marquées par les stéréotypes mais témoignant d’une amélioration due à la possibilité pour des artistes africains-américains d’intervenir sur des personnages de couleur. C’est l’émergence à la fin des années 80 de toute une génération de cartoonistes africains-américains qui va permettre à la figure super-héroïque africaine-américaine de passer, pour citer le scénariste Dwayne McDuffie (1962-2011), « d’invisible à inévitable ».

  • Commissaire : Mehdi Ameziane, bibliothécaire - chargé d’acquisitions à la médiathèque du musée du quai Branly - Jacques Chirac.

Sommaire :

L'accrochage en images

Entrée de la boite arts graphiques

© musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Julien Brachhammer

Les Années 70 - 80

L’industrie du comics dans les années 70 et 80 est marquée par l’émergence progressive de dessinateurs africains-américains toujours minoritaires mais importants comme Billy Graham (1935-1999) ou Denys Cowan (1961-) et surtout de deux scénaristes déterminants pour le futur des super-héros africains-américains : Christopher Priest (1961-) et Dwayne McDuffie (1962-2011).

Un hymne kryptonien

  • « Superman n’a jamais sauvé d’Africains-Américains » / « We’re hip to the fact that Superman never saved no black people »

On peut rapporter la déclaration du Black Panther Bobby Seale scandée lors du procès des huit de Chicago en 1968 puis reprise par l’artiste Barkley L. Hendricks en 1969 pour sous-titrer sa peinture Icon for my man Superman, à l’invisibilisation des Africains-Américains dans les comics mettant en scène Superman, vu ici comme le symbole de la Nation et le représentant d’un pouvoir volontiers oppressif. Elle pose également la question de la place du citoyen africain-américain lorsqu’il est exclu d’une production culturelle populaire considérée comme un élément typique de l’identité américaine.

Là où Marvel Comics inclut dès le milieu des années 60 des personnages africains-américains, simples figurants ou super-héros à part entière, tel Black Panther en 1966, DC comics semble beaucoup moins à l’aise et tâtonne durant des années, trahissant un retard notable sur son concurrent en matière d’intégration.

En 1971, DC introduit enfin des Kryptoniens de couleur et leur crée une île, Vathlo, sur la planète natale de Superman. Pour intégrer des Africains-Américains dans ses comics, DC préfère dès lors s’en remettre à des formules qui ont fait leurs preuves auprès du grand public, qu’elles soient propres à l’histoire du comics ou venant d’ailleurs, avec une volonté affichée dans l’équipe éditoriale de ne pas froisser un lectorat déjà établi et de trouver le bon équilibre entre viabilité économique, conquête du lectorat africain-américain et une pertinence sociale et politique qu’ils sont en train de perdre face à Marvel, leur concurrent dans le domaine du comics de super-héros. Par exemple, l’épisode contant la transformation de Lois Lane en Africaine-Américaine pour les besoins d’un reportage dans le quartier ségrégé de Little Africa à Metropolis est directement inspiré par les livres Black Like Me (1961) du sociologue John Howard Griffin et surtout Soul Sister (1969) de la journaliste Grace Halsell.

« Superman n’a jamais sauvé d’Africains-Américains »

  • The Blue, the Green and the Black

Le comics Green Lantern & Green Arrow, Hard-Travelling Heroes publié en 1970, de Denis O’Neil et Neal Adams prend la forme d’une traversée des États-Unis rythmée par les fréquentes disputes politiques opposant un super-héros conservateur (Green Lantern) et un super-héros libéral (Green Arrow), confrontés à l’état social du pays.

Le monologue reproduit en couverture de cette édition de poche préfacée par l’écrivain de fiction spéculative Samuel R. Delaney, critique directement la
tendance des récits de science-fiction en général et ceux des comics en particulier à traiter des questions raciales aux États-Unis de manière allégorique
en les transposant sur des figures extra-terrestres ou mutantes pour éviter de les aborder de front.

The Blue, the Green and the Black

  • Confrontations en noir et blanc

Il existe aux États-Unis une tradition du dessin de presse représentant des adversaires politiques s’affrontant sur un ring, façon de signifier que la boxe est plus que l’antagonisme de deux participants et que le ring constitue un espace dans lequel des préoccupations nationales à propos du pouvoir et de la citoyenneté s’expriment.

Le combat entre Mohamed Ali et Superman s’inscrit parfaitement dans cette tradition. Alors que Superman constitue un modèle d’intégration, souvent montré en étroite relation avec le pouvoir politique américain, Ali, inspiré par Malcolm X, se convertit à la religion musulmane et adhère à la Nation of Islam en 1964. Quand Ali résiste à son incorporation et se prononce ouvertement contre la guerre au Vietnam et se voit retirer sa licence de boxeur par la commission athlétique de New York en 1967, Superman part combattre en Asie du Sud-Est dans Superman #216 publié en 1969.

Les couvertures de comics chez DC dans les années 70 et 80, si elles n’en reflètent pas toujours le contenu, jouent sur un antagonisme laissant toujours planer le doute quant aux intentions et à la place du super-héros africain-américain, tantôt ambiguës (Nubia, Vixen), tantôt ouvertement belliqueuse (Tyroc), face à un super-héros représentant la justice et défendant une philosophie universaliste qui ignore la Couleur.

Confrontations en noir et blanc

  • Ligne de Genre(s)

Dans les années 40, le lectorat des comics de super-héros se distribue paritairement entre filles et garçons. L’émergence de nouveaux genres au milieu des années 40, alors que les comics de super-héros perdent les grâces du lectorat, fragmente considérablement ce dernier en le redistribuant entre comics policiers, d’épouvante ou romantiques.

Cette redistribution perdure au moment du regain d’intérêt pour les super-héros dans les années 60, lorsque Marvel et DC font le choix de s’adresser uniquement aux lecteurs masculins. Les magasins spécialisés qui vont finir par remplacer les kiosques à partir du début des années 70 vont également devenir des lieux de sociabilité essentiellement masculins peu accueillants pour les lectrices. Marvel et DC Comics, en s’adressant à un lectorat majoritairement masculin et euro-américain, entérinent artificiellement une hyper masculinisation des comics de super-héros, renforçant des stéréotypes de genre qui ne favoriseront ni l’ouverture des éditeurs aux autrices, à l’exception devenue traditionnelle dans les années 70 des coloristes, ni la fidélisation d’un lectorat féminin sur l’ensemble de leurs titres, ni la création de super-héroïnes.

Cela compliquera d’autant plus l’émergence de super-héroïnes de couleur qui demeurent historiquement moins nombreuses que leurs homologues masculins et aussi marquées par les stéréotypes. Insérées au sein de différentes équipes de super-héros et isolées de tout contexte historique et culturel africain-américain, aucune héroïne ne possède sa propre série. Celle où Vixen devait tenir le rôle-titre fait partie des trente comics annulés par DC à la suite de son implosion en 1978. Le personnage réapparaît en 1981 dans un épisode de Superman.

La série scénarisée par Dwayne McDuffie mettant en scène Captain Marvel est stoppée après deux numéros. Même si des scénaristes euro-américaines comme Louise Simonson, Mary Jo Duffy ou Kim Yale ont fini par s’imposer dans les années 80, le constat pour les autrices africaines-américaines en dit long sur l’industrie du comics de super-héros : Angela Robinson, Felicia D. Henserson et Yona Harvey seront respectivement en 2009 et 2016 les premières Africaines-Américaines à scénariser des comics pour DC et Marvel.

Ligne de Genre(s)

We Travel the Spaceways

L’éditeur EC Comics, créé en 1944 par Max Gaines, s’inscrit dans une histoire plus large de représentations positives qui tentent de dépasser les stéréotypes d’Africains-Américains habituellement présents dans la bande dessinée grand public.

Publié pour la première fois en 1953 dans la revue Weird Fantasy, Judgment Day d’Al Feldstein et Joe Orlando s’écarte du réalisme social des récits habituels de l’éditeur dénonçant le racisme pour embrasser la fiction spéculative et ses motifs et joue sur le choc du dénouement et du démasquage du héros pour introduire une figure d’autorité inattendue et controversée pour l’époque.

Tarlton, astronaute du futur, émissaire galactique venu juger de la ségrégation entre robots bleus et oranges, se déplace librement aux confins de l’univers alors même que la communauté africaine-américaine voit réellement sa mobilité limitée dans l’Amérique de Jim Crow et son espace résidentiel confiné à des zones ségrégées. Parce que la révélation de l’identité de Tarlton a marqué toute une génération de lectrices et lecteurs, les motifs conjoints de l’astronaute africain-américain et du héros cachant/révélant son visage vont constituer le meilleur procédé pour introduire des super-héros de couleur.

Mal Duncan s’engageant dans un voyage spatial solitaire pour impressionner les Teen Titans, James Rhodes remplaçant Tony Stark dans le rôle d’Iron Man et Black Manta, révélant son visage neuf ans après sa création, sont parmi ceux qui rejoueront ce moment clé de l’histoire africaine-américaine des comics.

We Travel the Spaceways

Exploitation

Des Héros pour ceux qui n’avaient pas de héros :

L’introduction de super-héros africains-américains dans les comics de Marvel et DC, tous inventés puis scénarisés par des auteurs européens-américains, se fait en corrélation avec la vague de films Blaxploitation des années 70, notamment Shaft de Gordon Parks et Sweet Sweetback‘s Baadaass Song de Melvin Van Peebles.

Ces films, s’ils permettent un renouvellement de la figure du héros africain-américain en même temps qu’ils visent un spectatorat plus diversifié, n’en perpétuent pas moins les stéréotypes qui y sont historiquement attachés en les exploitant sous une forme spectaculaire. Luke Cage, Black Lightning, Cyborg, Black Goliath et Blade et leurs costumes emblématiques surjouent ainsi leur rôle de héros macho en colère et constituent l’archétype du super-héros d’inspiration Blaxploitation transposé sur papier et en quadrichromie, une image figée du super-héros africain-américain. Pourtant, ces personnages sont suffisamment enracinés dans l’expérience africaine-américaine pour que des générations de lecteurs et lectrices, futurs cartoonistes qui citent volontiers les comics de Luke Cage comme influence majeure, développent un attachement à des personnages dont la réhabilitation va s’avérer fondamentale pour la culture populaire noire africaine-américaine.

Arbitrairement incarcéré, sacrifiant son intégrité physique à une expérience scientifique qu’il marchande contre sa liberté, Luke Cage dans son histoire originelle traduit la cruauté bien réelle du complexe carcéral américain à l’encontre des citoyens africains-américains.

Des Héros pour ceux qui n’avaient pas de héros

  • Sidekicks

Historiquement, le rôle de partenaire a toujours été attribué à un personnage plus jeune que le héros principal, renforçant le statut de subordonné du premier tout en consolidant le rôle de mentor du second et offrant au jeune lectorat un modèle auquel s’identifier. Cette dynamique est problématique dans le cas d’un sidekick africain-américain. Les premiers personnages africains-américains à apparaître dans des comics de superhéros, Ebony White dans The Spirit de Will Eisner (1917-2005) en 1940, Whitewash Jones dans Young Allies de Joe Simon (1913-2011) et Jack Kirby (1917-1994) en 1941 et Steamboat dans Captain Marvel de CC Beck (1910-1989) en 1942, sont des caricatures dont les attributs grotesques sont utilisés pour marquer leur infériorité et leur absence d’héroïsme.

L’élimination progressive des stéréotypes les plus préjudiciables n’empêche pas leur résurgence sous des formes déguisées. Même s’ils ont bénéficié durant un temps de leur propre série, les super héros africains-américains les plus importants, Luke cage, Falcon et Black Lightning, sont essentiellement connus comme partenaires de super héros euro-américains. En 1986, Mark Gruenwald (1953-1996) crée le personnage de Lemar Hoskins comme partenaire du nouveau Captain America.

Introduit dans le #334 sous le nom de Bucky, une adresse particulièrement insultante pour un homme adulte africain-américain signifiant petite brute, et affublé du costume du Bucky d’origine, un adolescent, Lemar Hoskins change officiellement de nom et de costume dans le #341 et devient Battlestar sous la pression de lecteurs africains-américains mécontents.

Sidekicks

L'avènement de la Panthère Noire

  • Crises sur les Mondes (pas si) Infinis

Événement éditorial croisant plusieurs séries et devant permettre de justifier narrativement l’élimination des personnages les moins vendeurs du catalogue DC, Crisis on Infinite Earths de Marv Wolfman et George Pérez met en scène l’intégralité du panthéon de l’éditeur. Sur les 180 super-héros représentés sur cette double page du numéro #5 de la série en août 1985, seulement quatre sont africains-américains.

Incidemment, le nombre d’artistes et surtout de scénaristes africains-américains est au diapason en 1985 : si on peut compter les dessinateurs Billy Graham, le pionnier à partir de 1972 sur les séries Luke Cage et Black Panther, suivi de Ron Wilson sur Power Man et Keith Pollard sur Black Goliath à partir de 1974 chez Marvel, puis Trevor Van Eeden sur Black Lightning chez DC à partir de 1977 et Denys Cowan à partir du début des années 80, Christopher J. Priest sera le tout premier scénariste africain-américain à travailler sur une série de super-héros avec la mini-série The Falcon en 1983.

Crises sur les Mondes (pas si) Infinis

  • Retcon et Amazing Man

Roy Thomas est le premier scénariste de comics à introduire dans le courrier des lecteurs de la série All-Star Squadron le terme de Retcon ou continuité rétroactive, c’est-à-dire le procédé narratif consistant à modifier un récit en introduisant de nouveaux éléments ou en en altérant d’anciens afin d’en changer la continuité.

Dans les numéros 38 à 40 d’All-Star Squadron parus en 1984, Thomas modifie ainsi la continuité de l’Univers DC Comics en introduisant en 1943 un super-héros africain-américain nommé Amazing Man, dont les super-pouvoirs se manifestent au cours d’une tentative de lynchage par un groupe suprémaciste nommé the Phantom Empire.

Le récit prend pour toile de fond les émeutes réelles de Detroit, déclenchées par l’opposition violente de résidents blancs à l’emménagement de citoyens africains-américains et met en scène l’incapacité de l’escadron des étoiles à prendre parti dans le conflit. Le scénariste pointe ainsi l’ambiguïté de la position politique d’équipes de super-héros comme la Ligue de Justice, partis combattre le fascisme en Europe mais qui s’avèrent incapables d’agir localement contre la ségrégation aux États-Unis.

"Retcon" et Amazing Man

  • The Panther & The Lash

Les comics ne manquent pas d’organisations de super-vilains suprémacistes, que ce soit l’Hydra (1965), les Sons of the Serpent (1966), ou The Phantom Empire (1984), mais c’est la première fois qu’un super-héros de comics, si on fait abstraction d’une série radiophonique diffusée en 1946 dans laquelle Superman combat le Ku Klux Klan, s’oppose frontalement à une version non maquillée du KKK – à la grande inquiétude du dessinateur des épisodes – Billy Graham.

La publication à partir de 1973 de la série dans laquelle Black Panther joue pour la première fois le rôle-titre depuis sa création en 1966 est concomitante pour les Africains-Américains de plus de visibilité dans les médias et la culture populaire, depuis le cinéma jusqu’à la télévision en passant par la mode,
la politique et le sport. Elle se fait également sur fond de résurgence de l’organisation raciste aux États-Unis sous la houlette de David Duke. L’ex néo-nazi prend la direction du KKK en 1974 et entreprend de le rendre présentable et respectable auprès des médias en atténuant sa rhétorique haineuse.
Confronté à l’organisation raciste dans the Panther Vs the Klan, à une guerre civile dans Panther’s Rage ou à un régime assimilable à celui de l’Apartheid dans Cry the Accursed Country, le personnage de Black Panther, plus qu’un super-héros, va devenir le vecteur idéal pour discuter de problèmes sociaux et politiques touchant aussi bien les États-Unis que le continent africain.

En parallèle, le personnage acquiert une certaine épaisseur psychologique à mesure que sa vie privée et ses relations se développent, que ce soit avec sa mère Ramonda ou sa future épouse Ororo Munroe alias Storm des X-Men.

  • Jungle Action et les frontières du Wakanda 

Dans les années 50, les récits publiés dans la première série du comics Jungle Action, essentiellement inspirés par Tarzan, multiplient les motifs coloniaux. La seconde série, réintroduite par Marvel au début des années 70 dans le but avoué d’occuper les rayonnages des kiosques face aux concurrents, consiste en rééditions de ces vieilles histoires jusqu’à ce que Don McGregor se propose d’y scénariser Black Panther dans son premier récit indépendant.

Loin des aventures américaines de Black Panther au sein des Avengers, The Panther’s Rage se déroule au Wakanda avec une galerie de protagonistes uniquement africains et se focalise sur le rôle de roi de T’Challa. Don McGregor conçoit alors l’espace des pages de Jungle Action comme un endroit à protéger des incursions d’une imagerie coloniale qui s’incrusterait aux côtés de sa version de Black Panther : s’il n’occupe pas l’intégralité de la revue avec ses aventures, les éditeurs chez Marvel sont susceptibles d’y glisser des récits issus d’anciens numéros du titre ouvertement racistes qui invalident son message.

Cette occupation de l’espace se matérialise par l’enrichissement du folklore entourant le Wakanda : cartes, notices historiques. En investissant ainsi les pages de Jungle Action, McGregor développe l’univers autour d’un pays imaginaire africain réputé pour sa résistance à la colonisation.

Jungle Action et les frontières du Wakanda

Les années 90

Dans les années 90, plusieurs éditeurs africains-américains dont l’influent Milestone Comics, déconstruisent et redéfinissent la figure super-héroïque à l’aune de l’expérience africaine-américaine, et lui ouvrent de nouveaux horizons qui influenceront l’industrie du comics grand public dans les années qui suivront.

Street Cred vs Sellout

  • Des super-héros par et pour les Africains-Américains

Si on considère l’auto-détermination économique comme l’une des composantes essentielles du Black Power, on conçoit l’importance de l’émergence d’éditeurs de comics africains-américains se faisant une mission de toucher un lectorat désirant être représenté positivement et constituant de surcroît un marché potentiel. En d’autres termes, mêler la recherche de ce que l’on peut qualifier d’une esthétique du super-héros africain-américain à un projet économique. Historiquement, les éditeurs de comics par et pour des Africains-Américains sont rares.

En 1994, le magazine Black Enterprise estime que les minorités constituent 30% du lectorat des comics. En en prenant bonne note, les principaux éditeurs remettent en avant d’anciens super-héros et en créent de nouveaux. Mais la véritable innovation viendra d’éditeurs africains-américains. Outre Big City Comics, créé en 1992 par les frères Dawud Anyabwile et Guy A. Sims qui font alors office de pionniers, Ania (se défendre en swahili) créé par Eric Griffin et surtout Milestone Comics, créé en 1993 par Dwayne McDuffie, Denys Cowan, Michael Davis et Derek Dingle, proposent de nouvelles séries mettant en scène des super-héros issus des minorités. Si Big City Comics et Ania Comics mettent un point d’honneur à garder leur indépendance en contrôlant la production de leurs comics et visent un lectorat essentiellement africain-américain, Milestone Comics nourrit d’autres ambitions.

Dans un geste sans précédent dans l’histoire du comics, DC comics s’occupe de la fabrication, de la promotion et de la distribution des comics produits par Milestone Comics et permet à l’éditeur indépendant d’en vendre plus de 3,5 millions en 1993. Même si les ventes déclinent à la fin des années 90, Ania, Big City et Milestone exerceront une influence sur la politique de gros éditeurs comme Marvel Comics et DC Comics quant à leur approche des lectrices et lecteurs africains-américains. Ces éditeurs favoriseront l’engagement de cartoonistes africains-américains avec l’idée que la diversité des super-héros passe par la diversification des artistes et scénaristes qui les dessinent.

Des super-héros par et pour les Africains-Américains

  • L’Âme du Peuple Cyborg

Dépossédé de son corps par son employeur, l’esprit du scientifique et pacifiste Michael Collins est transféré dans une machine à tuer, spécialisée dans les opérations clandestines, sur laquelle il n’a aucun contrôle mais dont il va finir par maîtriser l’intelligence artificielle et lui imposer sa manière non violente de résoudre les conflits.

Avec Deathlok, Dwayne McDuffie choisit d’investir et réviser un personnage marginal de l’univers Marvel, créé en 1974 par Doug Moench et Rich Buckler, le transformant au passage en Africain-Américain ce qui va lui permettre de parer à toute tentative de fétichisation du corps de son super-héros. Deathlok est une figure grotesque éloignée du super-héros traditionnel, remix à la croisée des genres de la science-fiction et de l’horreur : un cyborg dont la moitié humaine est un zombie se décomposant inexorablement, manifestation de la volonté l’auteur de s’éloigner du genre super-héroïque tout en admettant ses frontières et ses limitations.

En plus d’illustrer l’idée de double conscience du sociologue W.E.B. Du Bois que McDuffie cite directement dans le comics, à travers l’expérience de
Collins, déraciné de son propre corps et de sa vie de famille, se profile l’idée de la fragilité de la liberté des citoyens africains-américains.

L’Âme du Peuple Cyborg

Liste des Comics exposés dans le 1er panneau (de la façade Est) : Dawud Anyabwile (1965-), Guy A. Sims (1961-) : Brotherman, Dictator of Discipline #1, #2, #5, 1990, États-Unis, Papier/N-Z-115519 à N-Z-115522 ; Dwayne McDuffie (1962-), Butch Guice (1961-), Joe Cusko (1959-), Bill Sienkiewicz (1958-), Denys Cowan (1960-), Kent Williams (1962-) : Deathlok (Vol.1) #1 à #4, 1990, États-Unis, Papier, carton/Collection particulière ; Washington Alonzo (1967-), Anthony Jappa ( 19..-) : Dark Force #1, 1992, États-Unis, Papier/N-Z-115523 ; Washington Alonzo (1967-), Palmer Talley ( 19..-) : The Mighty Ace ! #1, 1992, États-Unis, Papier/N-Z-115524 ; Washington Alonzo (1967-), Anthony Jappa (19..-) : Original Man #1, 1992, États-Unis, Papier/N-Z-115525 ; Roosevelt Pitt Jr. (19..-), Bill Hobbs (19..-) : Purge #0, 1993, États-Unis, Papier/N-Z-115530 ; Turtel Onli (1952-) : Malcolm-10, 1992, États-Unis, Papier/N-Z-115527 ; Kirk Lindo ( 19..-), Denys Cowan (1961-) : Rescueman #1, 1992, États-Unis, Papier/N-Z-115528 ; James Brunson (19..-), Darrell Williams (19..-), Don Hillsman (1965-) : Numidian Force #4, 1991, États-Unis, Papier/N-Z-115529 ; Brent Dorian Carpenter (1964-2020), Georges Jeanty (1977-) : Paradigm #1, 1993, États-Unis, Papier/N-Z-115526 ; Eric Griffin (19..-), Steven X. Routhier (19..-) : Ebony Warrior #1, 1993, États-Unis, Papier/N-Z-115532 ; Roger Barnes (19..-) : Heru, Son of Ausar #1, 1993, États-Unis, Papier/N-Z-115533 ; Nabile P. Hage (1965-), John Ruiz (19..-), Steve Roman (19..-) : Zwanna, Son of Zulu #1, 1993, États-Unis/Collection Particulière.

Liste des Comics exposés dans le 1er panneau

« Nous n’avons pas le temps de vendre nos comics à l’arrière d’un camion »

  • Milestone Comics

À sa création en 1993, Milestone Comics se revendique comme partie intégrante d’une Renaissance de la culture populaire africaine-américaine dans laquelle s’insèrent aussi bien des musiciens comme le groupe Public Enemy que des cinéastes comme Spike Lee. Prenant exemple sur la cohérence des Univers Marvel et DC Comics, les séries de Milestone Comics se développent autour de la ville fictive de Dakota et du Big Bang, une action antigang de la police locale à l’origine des superpouvoirs d’une partie de la population.

Les séries Icon, Static, Blood Syndicate et Hardware posent une question fondamentale : comment l’héroïsme conventionnel des super-héros est-il différent lorsqu’il est considéré du point de vue des minorités ? De Rocket, adolescente et future mère interrogeant l’incongruité de son corps dans le rôle hyperbolique de super-héroïne aux côtés d’Icon, extra-terrestre recueilli par une esclave au 19e siècle et dont l’origine renforce la nature alien des Africains amenés de force en Amérique, à Hardware et Static dont les pouvoirs passent par une maîtrise de l’ingénierie et du langage, les figures de Milestone éloignent les super-pouvoirs du nexus de la corporéité habituelle des super-héros africains-américains. Cette corporéité est critiquée directement à travers le personnage de Buck Wild, calqué sur Luke Cage, pensé comme le héros blaxploitation archétypique et considéré par Dwayne McDuffie comme ayant longtemps fait office de compromis représentationnel du super-héros africainaméricain pour les éditeurs de comics de super-héros.

Cette entreprise de déconstruction se fait sous les auspices d’ une recherche esthétique revendiquée. Au centre de l’identité visuelle de Milestone Comics, immédiatement reconnaissable et moyen d’affirmer l’esthétique spécifique de ses comics alors qu’ils sont fabriqués et distribués par DC comics, se situe un procédé mis au point par l’artiste et coloriste américaine Noëlle Giddings appelé Milestone 100 Color Process et qui permet un rendu fidèle des couleurs peintes à la main et une plus grande diversité dans le rendu des couleurs de peau dans une industrie qui a longtemps ignoré les nuances et coloriait les personnages africains et africains-américains en gris.

Milestone Comics

  • LA92/ « Je parie que cela n’arrive jamais à Superman »

Les relations entre la police et la communauté africaine-américaine sont historiquement marquées par la violence et la mort aux États-Unis. Dans les cas d’arrestation violente, la police motive souvent l’utilisation de la force létale en invoquant l’apparente invulnérabilité ou la force surhumaine dont font preuve les victimes.

La situation face aux forces de l’ordre du super-héros africain-américain est donc paradoxale car le super-héros est, depuis Superman, traité dans les comics comme un citoyen exemplaire jouant le rôle d’auxiliaire de police. Rocket souligne l’ironie de la situation lorsque le duo atterrit au milieu d’une prise d’otage dans Icon #1. Parce qu’ils sont Africains-Américains, Icon et Rocket se voient dénier leur statut super-héroïque malgré leurs superpouvoirs manifestes et leurs costumes signes de ce statut.

Dans Punisher #60, Frank Castle, dans la peau d’un Africain-Américain à la suite d’une opération de chirurgie esthétique, fait l’expérience brutale d’une arrestation qui tourne à la bastonnade avant d’être secouru par Luke Cage, dans une représentation frontale qui est devenue typique des comics de l’époque et évocatrice de l’affaire Rodney King. Le personnage du Punisher, créé en 1974 par Gerry Conway, a entériné l’idée d’un certain type de vigilantisme ultra-violent parmi les forces de police américaines. Le crâne du Punisher est devenue l’emblème du mouvement Blue Lives Matter, réaction au mouvement Black Lives Matter contre les brutalités policières et les violences à l’encontre des citoyens africains-américains.

LA92/ « Je parie que cela n’arrive jamais à Superman »

  • Give Me Liberty or Give Me Death

Dans Give me Liberty, Frank Miller et Dave Gibbons travaillent contre la mythologie nationale officielle des États-Unis en choisissant comme figure idéalisée du patriotisme américain une héroïne africaine-américaine à mille lieues des stéréotypes habituellement plaqués sur les super-héroïnes de couleur et dépeinte comme participant activement à la construction de la Nation.

Avec la supersoldate Martha Washington, les auteurs s’attaquent au paradoxe auxquels ont été historiquement confrontés les soldats africains-américains depuis la première guerre mondiale, lorsqu’en acceptant de combattre pour les États-Unis, révélant ainsi leur attachement à des valeurs américaines de justice et d’équité, ils défendaient et représentaient des idéaux démocratiques qui leur étaient pourtant refusés en même temps que la citoyenneté.

"Give Me Liberty" or "Give Me Death"

les années 2000

Dans les années 2000, le rôle de plus en plus important tenu dans l’industries du comics par les scénaristes africains-américains et l’essor des autrices va permettre la confirmation et la consécration de personnages majeurs comme Black Panther et Storm, la révision de figures super-héroïques historiques comme Luke Cage et Cyborg et la création de nouvelles figures comme Isaiah Bradley et Sojourner Mullein.

Black Panther Forever (and ever)

  • Le Mariage du siècle

Concrétisation d’une relation « retconisée » dans les années 80 et remontant dorénavant à l’enfance des deux personnages, le mariage entre Storm et Black Panther est traité comme un événement médiatique à part entière par Reginald Hudlin et prend tous les aspects d’un mariage réel : couverture par la chaîne de télévision Black Entertainment Group dont Hudlin est le président à l’époque, conférence de presse organisée par Marvel en compagnie de l’écrivain Eric Jérôme Dickey, robe de mariage conçue par le costumier Shawn Dudley-Reeves.

Symétriquement, des personnalités comme Oprah Winfrey, Nelson Mandela et Georges W. Bush sont insérés dans l’épisode du mariage, brouillant un peu plus les frontières entre réalité et comics.

Storm et Black Panther renvoient ainsi l’image du premier Power Couple africain-américain de l’histoire du comics de Super-héros au moment où Jay-z se lie à Beyoncé Knowles et où Michele et Barack Obama commencent à se faire connaître du monde entier.

Le Mariage du siècle

  • Black Panther’s Black Gutter

Si le caniveau (gutter en anglais) blanc, c’est-à-dire l’espace entre les cases dans une bande dessinée, charrie l’idée d’un espace vierge à conquérir, ce qui constitue une fiction coloniale, le caniveau noirci de Reginald Hudlin et John Romita Jr. transmet le message d’un territoire déjà habité et fermé à la colonisation.

Les scènes de tentatives d’invasion du Wakanda qui ouvrent la série de Hudlin renforcent cette idée : avancées technologiques et supériorité stratégique aidant, le Black Panther du 19e siècle déjoue la redoutable mitrailleuse Gatling, l’une des armes automatiques avec la Maxim Gun historiquement utilisée en Afrique pour annihiler les résistances autochtones, et avec elle toute tentative de colonisation du Wakanda. Là où les nouvelles armes automatiques permettaient à une poignée d’hommes de neutraliser un grand nombre d’opposants, ici le rapport de force est inversé.

Durant sa tenue de la série entre 2005 et 2010, Hudlin, s’essayant à une approche plus radicale et nationaliste du personnage, multiplie les clins d’oeil à l’iconographie du Black Panther Party pour revendiquer un Black Panther aux antipodes de celui voulu par Stan Lee à sa création.

Black Panther’s Black Gutter

  • Ceci n’est pas un Super-héros

Si le personnage a déjà été solidement construit par différents auteurs depuis le milieu des années 70 jusqu’à la fin des années 90, ces 25 dernières années ont joué un rôle crucial dans le développement et la popularité de Black Panther. Les quatre auteurs africains-américains successivement à l’écriture de la série à partir de 1998, dans l’ordre Christopher Priest, Reginald Hudlin, Ta Nehisi Coates et John Ridley ont redéfini le personnage, chacun en bâtissant sur le précédent et en s’appropriant et développant tel ou tel aspect.

Priest choisit de définir le personnage au travers des yeux de l’agent du renseignement américain Everett K. Ross et toucher ainsi un public plus large. Reginald Hudlin redéfinit Black Panther comme farouchement nationaliste et vise principalement le lectorat africain-américain en abordant des sujets comme les violences policières, la reconstruction de La Nouvelle-Orléans post-Katrina ou la résistance du Wakanda face aux ex-puissances coloniales. Ta Nehisi Coates met l’accent sur l’importance des personnages féminins dans le monde du Wakanda tout en questionnant le statut de roi de T’Challa en le confrontant à une crise démocratique au Wakanda.

À l’instigation de Coates, des séries autour de l’univers du Wakanda vont privilégier les plumes féminines et permettre à des autrices africaines-américaines comme Nnedi Okorafor, Yona Harvey ou Roxanne Gay, d’approfondir des personnages comme Shuri ou la Dora Milaje, garde personnelle de T’Challa, Okoye.

Parce qu’il est africain, situation pourtant voulue au départ par Stan Lee pour éviter d’évoquer directement la question des Droits Civiques, Black Panther a toujours échappé au paradoxe du super-héros africain-américain de devoir servir un système qui le considère comme un citoyen de seconde classe. Plus qu’un super-héros américain traditionnel défini par un traumatisme d’origine et un attachement démesuré à la justice américaine, Black Panther est désormais une figure émancipatrice guidée par la raison d’État du Wakanda, un roi portant le costume cérémoniel qui symbolise son pouvoir et sa charge.

Ceci n’est pas un Super-héros

  • Transmédialité

Des poupées utilisées par les psychologues Mamie Phips et Kenneth Clark dans leurs travaux sur l’image de soi des enfants africains-américains aux poupées « ethniquement correctes » vendues par Shindana Toys dans les années 70 dont la conception servira d’inspiration à Mattel plus tard pour ses Barbies de couleur, en passant par Patti-Jo, la figurine adaptée du comics de Jackie Ormes et la poupée « anthropologiquement correcte » Saralee conçue par l’artiste Sheila Burlingame et validée par l’anthropologue Zora Neale Hurston à la fin des années 40, la poupée de couleur tient une place de choix dans l’histoire des jouets en général et l’histoire des Africains-Américains en particulier.

Que les enfants africains-américains puissent jouer avec des poupées qui leur ressemblent est une idée défendue depuis au moins le début du 20e siècle. La multiplication des figurines articulées, réinscription masculine de la poupée inaugurée en 1964 par la série de jouets GI Joe, se basant sur des super-héros de comics préexistant à partir du milieu des années 70 n’a pas pour autant favorisé plus de diversité au sein des collections commercialisées, The Falcon reste durant des années le seul personnage décliné en jouet.

Constat bien assimilé par l’entrepreneuse Yla Eason lorsqu’elle crée en 1985 la société Olmec Toys et la ligne de figurines Rulers of the Sun, aux formes inspirées par les Maîtres de l’Univers de Mattel et dont le héros principal, Sun Man, tire ses pouvoirs de la couleur de sa peau. C’est seulement ces dix dernières années, le succès des différents univers cinématiques sur petit et grand écran aidant, ajouté à l’adaptabilité naturelle du super-héros de comics en jouets attrayants stimulant l’imagination, que l’on a vu se multiplier les figurines modélisant des super-héros africains-américains prêts à jouer le rôle d’avatars dans les pratiques ludiques des enfants.

Transmédialité

I Heard It Through The Blackvine

  • Super POTUS

L’utilisation du comics à des fins politiques est au moins aussi vieille que le medium lui-même. À l’élection de Barack Obama en 2008, la figure du chef d’État super-héros, qui attribue des pouvoirs extraordinaires au président et par extension à la nation qu’il représente, fait déjà partie intégrante de la culture populaire. L’éloquence d’Obama, sa capacité supposée à accomplir l’impossible en tant que premier président africain-américain des États-Unis, son physique athlétique souvent objectivé dans les médias et son statut de collectionneur de comics renforcent cette image.

Il concurrence Spiderman, il devient Spiderman lui-même en inspirant à Brian Bendis et Sara Pichelli le personnage de Miles Morales. Il est représenté en super-héros par Alex Ross, le geste familier rappelant Clark Kent alias Superman. Il est réincarné par Grant Morrison dans la personnalité de Calvin Ellis, Kryptonien originaire de l’île de Vathlo et président des États-Unis sur Terre-23. Super Obama confirme ainsi l’idée que politique et culture populaire aux États-Unis ne font qu’une et que les polarités politiques, de même que les antagonismes sur la scène géopolitique internationale, peuvent être perçus au travers du prisme d’une narration de comics opposant Héros et Vilains.

Super POTUS

  • The Truth

Exemple de Retcon replaçant les Africains-Américains de manière plausible au coeur de l’âge d’or des super-héros traditionnels, Truth : Red, White and Black de Roberto Morales et Kyle Baker reconsidère l’origine de Captain America et les motifs propres aux récits d’origine de super-héros.

Il explore l’idéologie eugéniste du récit original et la recontextualise à l’aune de la ségrégation raciale et de moments traumatiques ou déterminants de l’histoire africaine-américaine : médecine racialiste, expérience de l’institut Tuskegee sur la syphilis, la campagne VV (victoire sur le front et victoire à la maison), moment-clef du combat des vétérans africains-américains de la seconde guerre mondiale pour les droits civiques et la reconnaissance de leur citoyenneté.

Morales et Baker créent ainsi Isaiah Bradley, le premier Captain America, cobaye involontaire de l’expérience du super-soldat, et sans lequel Steve Rogers alias Captain America n’existerait pas. Cette réécriture controversée du mythe nationaliste américain qu’est Captain America dans l’histoire africaine-américaine a été extrêmement critiquée à sa publication mais d’autres auteurs se sont empressés de canoniser Isaiah Bradley et son fils Josiah X en les intégrant dans Black Panther (Reginald Hudlin) et The Crew (Christopher Priest).

The Truth

  • L’Histoire cachée de DC Comics

L’écrivain John Ridley revisite dans The other history of the DC Universe les principaux super-héros africains-américains introduits par DC Comics : Black Lightning, Mal Duncan, Bumblebee et Thunder, en leur inventant une intériorité et des opinions qui leur étaient déniées dans les oeuvres originelles.

Ses histoires autour des frustrations et espoirs de ces héros confrontés à des figures comme Superman ou Batman ouvrent ainsi de nouvelles perspectives sur ce qu’est être un super-héros africain-américain et agissent comme un commentaire sur l’histoire éditoriale de DC et le traitement de ses rares super-héros de couleur dans les années 70 et 80.

 

L’Histoire cachée de DC Comics

  • Révisions

Quatre séries vont permettre au scénariste David F. Walker de revisiter visuellement et narrativement les super-héros africains-américains les plus importants de l’histoire du comics. Dans NightHawk, dont le protagoniste principal est aux prises avec un meurtrier décidé à venger les torts causés à la communauté africaine-américaine de Chicago, Walker questionne la position du super-héros africain-américain vis-à-vis de la police et de la justice, tout en mettant en perspective la violence expéditive du vigilant masqué.

Power Man & Iron Fist redéfinit la relation entre Luke Cage et Danny Rand. La série Cage investit le personnage de Power Man en l’alignant sur la continuité rétroactive introduite par Truth et son histoire d’abus médicaux, tout en bâtissant sur les changements effectués par Brian Michael Bendis sur le personnage : mariage avec la super-héroïne Jessica Jones, changement de look, paternité… La série capitalise sur la sobriété nouvelle d’un protagoniste qui ne ressemble plus à la caricature d’un héros Blaxploitation : Power Man est dorénavant l’un des rares super-héros Marvel à pouvoir se passer de costume en restant identifiable. Cyborg voit quant à lui dans sa série éponyme ses pouvoirs étendus au contrôle de la plasticité de son corps, là où la fixité de son apparence et les frustrations qui y étaient liées formaient une partie importante de sa personnalité.

Révisions

  • Le Juge Masqué

L’expression Hooded Justice, traduite par Juge Masqué, utilisée en 1940 par l’écrivain et journaliste américain Sterling North dans son article à charge contre les comics « A National Disgrace », témoignait de l’antipathie de l’écrivain à l’égard de la justice expéditive des super-héros et à l’égard des comics en général. C’est avec cette idée en tête qu’Alan Moore et Dave Gibbons créent un personnage éponyme dans le comics Watchmen publié entre 1986 et 1987, dont le costume laisse transpirer les idéaux suprémacistes et sa parenté avec le Ku Klux Klan.

Darwyn Cook va inverser ce motif dans son comics DC : The New Frontier en 2004 avec sa version du personnage de Steel, vengeur masqué rescapé d’un lynchage manqué. Dans la série Watchmen produite pour HBO en 2019, Hooded Justice est également un Africain-Américain nommé Will Reeves, joué par les acteurs Lou Gossett Jr. et Jovan Adepo mais porte le contour des yeux blanchis, double masque et manière de signifier l’impossibilité d’un super-héros de couleur dans les années 40. En portant les attributs particuliers que sont la cagoule et la corde, ces super-héros affichent sur leur persona héroïque l’événement traumatique à l’origine de leur transformation.

Le Juge Masqué

A Seat At The Table

A Seat at the Table

  • A Seat at the Table

L’émergence de plus de diversité dans les comics de super-héros ces dix dernières années et qui a impliqué un nombre croissant d’autrices africaines-américaines travaillant sur des super-héroïnes de couleur, anciennes comme Photon, Nubia et Vixen ou nouvelles comme Sojourner Mullein, Iron Heart et Bloodline, s’est accompagnée d’une forte résistance de la part d’une communauté de fans qui se voient traditionnellement comme les gardiens d’un bastion artificiellement construit durant des années comme typiquement masculin et blanc.

La reconnaissance relative par les éditeurs de comics grand public du rôle accru des Africaines-Américaines en tant que productrices et consommatrices de représentations féminines positives a permis de tempérer ces pressions systémiques qui ont limité ces représentations durant de nombreuses années.

Les images positives de super-héroïnes sont devenues des outils d’autonomisation qui ont le pouvoir de démanteler les stéréotypes traditionnellement affectés aux Africaines-Américaines. Signe du changement engagé par un éditeur comme Marvel Comics et alors que la série principale consacrée à Black Panther a toujours été scénarisée par des hommes, c’est l’autrice et sociologue Eve L. Ewing qui a la charge de scénariser le personnage depuis 2023.

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La bédéthèque du salon de lecture J. Kerchache

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