Jaoul Nicolas (2007-2008)

Contenu

  • Nicolas JAOUL
  • Post-Doctorant (EHESS-CEIAS), Boursier du Quai Branly (2007-2008)
  • Adresse courriel: nja@quaibranly.fr

domaine de recherche

Inde, Dalits ("intouchables"), politisation, imagerie politique

projet(s) de recherche

J’ai fait mes études à l’université de Paris 1 où j’ai suivi un cursus d’histoire puis de sociologie politique. Ma thèse de l’EHESS (2004) sous la direction de Djallal G. Heuzé a porté sur le mouvement d’émancipation des dalits (« intouchables ») en Uttar Pradesh (Inde du Nord). Suite au doctorat, j’ai enseigné au département Asie du Sud de l’INALCO  (Politique et société en Inde, Histoire moderne de l’Inde, Civilisation hindoustanie). Par ailleurs, je suis devenu chercheur associé au Centre d’Etudes de l’Inde et de l’Asie du Sud depuis décembre 2005.

Prolongeant mon travail de thèse, mon travail actuel consiste en un projet comparatif d’anthropologie de la citoyenneté, qui porte sur les dynamiques de la politisation dans les milieux défavorisés en Inde. Je m’intéresse pour cela à différents mouvements politiques et sociaux, actuels et/ou historiques, impliqués dans les milieux dalits (l’ambedkarisme, le naxalisme, le nationalisme hindou et le gandhisme). La comparaison porte sur le rôle social des militants et  travailleurs sociaux dans ces milieux, sur leurs médiations avec l’appareil d’Etat, ainsi que sur la pédagogie qu’ils mettent en œuvre pour enseigner l’idéologie politique à des auditoires en partie analphabètes. 

Après la longue immersion dans le mouvement dalit de la région de Kanpur qu’a représenté mon terrain de thèse (22 mois au total), qui m’a permis de me familiariser avec les milieux dalits, j’ai pu grâce aux financements de la MSH, du CEIAS et du CERI, renouveler mon approche de terrain. J’ai réalisé deux séjours dans l’état du Bihar où j’ai enquêté sur le parti politique CPI-ML Liberation, une branche modérée du mouvement naxaliste (maoïste). Je me suis également rendu à trois reprises en Grande Bretagne (principalement à Southall et Wolverhampton) pour enquêter sur l’engagement des dalits de la diaspora. Enfin, je me suis rendu au Punjab, haut lieu de l’émigration indienne, où je me suis intéressé aux investissements de la diaspora dalit dans des mouvements sectaires (notamment le prosélytisme bouddhiste et la secte ravidasi).

En 2005-2007, l’anthropologue Daniela Berti et moi-même avons animé une équipe ATIP-jeunes chercheurs du CNRS intitulée «  l’enracinement d’un mouvement politique radical. Nationalisme hindou, médiations locales, formes de résistance ». Cette équipe a permis de mieux comprendre grâce à des exemples concrets, les réactions locales aux tentatives de redéfinir des pratiques et des conceptions locales de l'hindouisme à l’aune d’une idéologie politique unificatrice et controversée.

En 2007, j’ai participé, en tant que membre du comité de rédaction, au lancement de la nouvelle revue académique en ligne South Asia Multidisciplinary Academic Journal (SAMAJ), consultable sur revues.org. (http://samaj.revues.org/index.html) Amélie Blom et moi-même allons codiriger le second numéro thématique, sur les mobilisations des « communautés outragées », qui va être l’occasion de réfléchir collectivement au rapport populaire aux symboles communautaires en Asie du Sud (voir l’appel à contributions sur le site de SAMAJ : http://samaj.revues.org/document217.html).

Depuis octobre 2007, je travaille grâce à la bourse postdoctorale du musée du Quai Branly, sur un projet intitulé « Images et imaginaires de la contestation en Inde. L’imagerie politique des défavorisés ». Mon intérêt pour les symboles politiques a été initié par la découverte en thèse du recours, efficace du point de vue de la mobilisation politique des dalits, à l’installation dans les villages de statues du leader historique Ambedkar (1891-1956). Principale figure de l’émancipation des dalits, il se prononça pour qu’ils obtiennent un statut de minorité (mesure que Gandhi fit annuler par une grève de la faim), dirigea le comité de rédaction de la Constitution indienne et initia un mouvement de conversions de masse au bouddhisme.  Il est représenté sur ces statues, réalisées par des artisans locaux, dans un habit occidental et tenant à la main la Constitution indienne, dans laquelle sont inscrites l’égalité des hommes et l’abolition de l’intouchabilité. Cette iconographie oppose sémantiquement Ambedkar à Gandhi, quand à lui représenté en habit traditionnel et tenant souvent à la main le texte hindou de la Bhagavad Gita. Au cours de mon enquête au Bihar, j’ai comparé cette technique militante d’investissement de l’espace public grâce à un symbole de dissidence politique et culturelle, avec les monuments aux « martyrs » installés par les organisations naxalistes dans les villages en l’honneur de militants villageois morts dans la lutte armée.
L’imagerie militante joue un rôle important en tant que support pédagogique pour transmettre l’idéologie contestataire, qu’il s’agisse du communisme des naxalistes ou de l’approche identitaire des ambedkaristes. Dans un cas comme dans l’autre, ces images de la révolte véhiculent des conceptions du groupe qui contrastent avec les clichés péjoratifs véhiculés par le sens commun et dans les médias, qui les représentent comme pauvres, analphabètes, dépendants de l’assistance publique et donc comme un poids pour le développement. Au contraire, l’imagerie militante insiste sur leurs idéaux, leur courage et leur détermination à transformer la société.

Il va donc s’agir dans cette recherche de replacer ces images contestataires dans le champ plus vaste des images des dalits, souvent abordées sous un angle misérabiliste et folkloriste dans les grands médias indiens et occidentaux. Afin de bien saisir la place occupée par ces images dans ces milieux,  ce projet entend dépasser la simple analyse visuelle de l’iconographie pour s’intéresser également à la fabrique (ateliers de sculpteurs, notamment) et aux pratiques (militantes, domestiques) qui se déploient autour de ces images.

Ce projet entend ainsi apporter de nouveaux éléments sur les processus d’enracinement de traditions politiques dans la culture populaire indienne. Il pourrait de cette façon contribuer à l’étude du rôle des images dans la politisation, qui recoupe des techniques créatives de « vernacularisation » de l’idéologie politique par les militants.

publications

articles

  • “Learning the use of symbolic means. Dalits, Ambedkar statues, and the state in Uttar Pradesh.” Contributions to Indian Sociology, vol. 40 n°2, mai 2006, pp. 175-207.
  • « L’engagement des émigrés dalits. Idéologie et formation d’une conscience de diaspora.». Diasporas : Histoire et sociétés, n° 9, décembre 2006, pp. 222-240.
  • « Le point de vue des dalits sur les quotas d’embauche de l’administration ». Droit et Cultures. Revue d’Anthropologie et d’Histoire, vol. 50 n°1, janvier 2007, pp. 63-87.
  • “Dalit processions: street politics and democratization in India.” In Cruise O’Brien, Donal & Strauss, Julia (eds.). 2007. Staging politics : Power and performance in Asia and Africa. London: IB Tauris, pp. 174-193.
  • “Political and ‘non political’ means in the dalit movement”. In Pai, S. (dir.). 2007. Political Process In UP: Identity, Economic Reform and Governance. New Delhi: Pearsons, pp. 142-168.
  • « De la lutte pour l’espace urbain à la politisation. Les techniques symboliques d’affirmation des dalits ». In Hanquart-Turner, Evelyne (dir.). 2006. Urbs et Orbis. Métropoles et villes provinciales dans le monde anglophone. Paris : éditions A3, pp. 299-310.

comptes-rendus de lectures

  • Jondhale, Surendra and Beltz, Johannes: Reconstructing the World: B.R. Ambedkar and Buddhism in India. New Delhi, Oxford University Press, 2004. Indian Economic and Social History Review, vol. 43 n°3, 2006, pp. 380-1.
  • Deliège, Robert: Les Castes en Inde Aujourd’hui. Collection « Sociologie d’Aujourd’hui », Presses Universitaires de France, Paris, 2004. Pacific Affairs, vol. 78 n° 1, spring 2005, pp. 153-5.